De mai à juillet 2016, les médias espagnols firent de la « dictature bolivarienne » un thème central de la campagne électorale. Passé le scrutin, ils n’en ont pratiquement plus parlé [1]. C’est pour la même raison que les médias français dominants, dont les mensonges sur le Venezuela rempliraient plusieurs bibliothèques, redoublent d’ardeur dans une campagne présidentielle où la plus-value de 18 ans de désinformation quotidienne revêt un intérêt très particulier…
Ainsi, le 19 avril 2017, on nous annonce « deux nouvelles victimes lors de manifestations anti-Maduro ». Le lendemain matin, un animateur de radio (Jean-Jacques Bourdin) oblige un candidat à la présidence de la république (Jean-Luc Mélenchon) à condamner les « violences d’Etat au Venezuela comme au Bahrein, partout ». Ce qui est intéressant ici, c’est que ni M. Mélenchon, alors qu’il n’est encore que candidat, ni ses sympathisants ne peuvent répondre autre chose.
En ce qui concerne le Venezuela la réalité invite pourtant à la prudence.
Selon des membres de la famille du jeune Carlos Moreno (17 ans), frappé d’une balle à la tête par un franc-tireur à Caracas, l’adolescent ne participait à aucune manifestation et se rendait a un tournoi sportif. Quant à la deuxième victime, Paola Rodríguez (22 ans), victime d’un coup de feu à San Cristobal, son assassin a été rapidement arrêté par les autorités ; il s’agirait d’un militant d’opposition [2]. Notons que les médias passent sous silence l’agression de policiers ce même 19 avril à Chacaïto (Caracas) ou l’assassinat par des terroristes d’extrême droite d’un garde national qui participait au déploiement d’un cordon de sécurité a San Antonio de los Altos [3].
Pourquoi la majorité des victimes des violences de la droite organisées ces quatre dernières années appartiennent-elles aux forces de l’ordre ou à la militance bolivarienne ? Tout simplement parce qu’il ne s’agit, pas plus que dans le Chili de 1973, d’une « répression d’État » mais de la résistance, depuis des années, d’un gouvernement de gauche à une vaste stratégie de déstabilisation économique (création de pénuries par le secteur privé très majoritaire dans l’économie), politique (violences de la droite avec l’appui de l’OEA depuis Washington et du réseau paramilitaire colombien) et médiatique (en France, des médias comme Libération, Le Monde, Le Figaro et même des sites supposés « alternatifs » comme Mediapart ont transformé une démocratie participative en autocratie répressive).
Cette opération conjointe des forces économique, politique et médiatique avait déjà eu lieu en avril 2002 lors du coup d’État contre le président Chavez mené par le MEDEF vénézuélien, les médias privés et des militaires de droite. Fait unique dans l’histoire contemporaine, la population défit ce coup d’État en 48 heures et ramena au pouvoir le président élu. La mort de Hugo Chavez a rendu à l’Empire l’espoir d’en finir avec le fer de lance de l’unité latino-américaine et de récupérer une fois pour toutes ses immenses réserves pétrolières.
En vivant au Nicaragua dans les années 80 j’avais observé le même phénomène : les médias européens faisaient campagne non pas parce que la révolution sandiniste fût totalitaire, mais pour qu’elle le devienne et pour que cet épouvantail serve d’avertissement aux citoyens tentés de suivre la même voie dans le reste du monde (5).
Imaginons une seconde qu’un candidat authentiquement de gauche remporte des élections présidentielles en France. La pression médiatique qui s’abattrait sur son gouvernement l’obligerait à consacrer une part importante de son temps et de son énergie à répondre aux accusations de totalitarisme, à louvoyer, voire à reculer. A l’extérieur de ce pays les populations informées par ces médias finiraient par croire qu’en France la démocratie est menacée parce qu’un homme fort y a « pris le pouvoir ».
La grande victoire de la désinformation quotidienne via la propriété transnationale des groupes de communication, c’est l’occultation d’expériences qui permettraient l’identification citoyenne et de nourrir d’autres processus de démocratie participative. “Le pouvoir ne souhaite pas que les gens comprennent qu’ils peuvent provoquer des changements.” (Noam Chomsky). Même les médias dits alternatifs parlent très peu des expériences communales du Venezuela et du droit a la critique populaire exercée par les médias associatifs, des difficultés à faire en sorte que les citoyens assument leur pouvoir de contrôler des budgets participatifs, de créer une économie coopérative, d’organiser la production des médias associatifs, ou d’affronter la dépolitisation de la jeunesse. De cette manière le peuple vénézuélien lui-même disparaît, remplacé par les images des manifestations de la droite ou par les marqueurs personnalistes (leader politiques). C’est pourquoi on n’ose pas associer le mot « Venezuela » au mot « démocratie ».
En jouant au court terme médiatique plutôt que de réfléchir à comment démocratiser leur propriété et à comment former massivement les citoyens à un nouveau paradigme de l’information, la gauche occidentale a fortement hypothéqué la possibilité d’appliquer son programme. Pourquoi cette cécité, depuis si longtemps, face a un enjeu aussi central, vital, stratégique ? En Argentine avant que le président néo-libéral Mauricio Macri ne la déroge, la loi équilibrait la propriété des médias (comme aujourd’hui encore en Bolivie et en Équateur) : « 33 % au secteur public, 33 % au secteur privé et 33 % au secteur associatif ». Bien sûr toute réforme de ce type sera immédiatement combattue par les grands groupes privés, comme ce fut le cas dans les trois pays mentionnés, en tant qu’« atteinte à la liberté d’expression » (6).
Mais à l’ère où la gouvernance mondiale s’exerce via ces transnationales de la communication, est-il possible de mettre en oeuvre un programme de transformation sociale sans commencer par instaurer un véritable pluralisme de la propriété des médias ? (7)
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