Étonnamment, Flynn n’est pas en accord avec la façon dont le journaliste, Medhi Hasan, pose ses questions. Flynn semble vouloir être clair sur le fait que les stratégies qui ont mené à l’apparition de l’EI ne sont pas dues à l’ignorance ou à l’aveuglement, mais sont le résultat d’une décision prise en toute conscience.
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Hasan — Vous êtes donc en train de nous dire qu’à cette époque, le gouvernement savait que ces groupes existaient, vous en avez vu l’analyse, et vous argumentiez contre. Mais alors, qui n’écoutait pas ?
Flynn — Je crois que c’est l’administration.
Hasan — L’administration a donc fermé les yeux face à votre rapport ?
Flynn : – Je ne crois pas qu’elle ait fermé les yeux ; je pense que ce fut une décision. Je pense même que ce fut une décision délibérée.
Hasan : — La décision délibérée d’aider une révolte menée par des salafistes, Al-Qaïda et les Frères Musulmans ?
Flynn – C’était la décision délibérée de faire ce qu’ils sont en train de faire.
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Hasan lui-même a exprimé de la surprise devant la franchise de Flynn à ce moment de l’interview. Une copie de ce rapport de la DIA déclassifié à la main, Hasan en a lu à haute voix quelques passages : « Il existe une possibilité d’établir une principauté salafiste en Syrie orientale, exactement ce que veulent les puissances soutenant l’opposition syrienne afin d’isoler le régime syrien ».
Plutôt que de dévaloriser l’importance d’un tel document, comme le fit le département d’État après sa déclassification, Flynn fit le contraire. Il confirma qu’en tant que chef de la DIA il y porta « une attention soutenue » et ajouta plus tard que « ces renseignements étaient très clairs ».
Le lieutenant-général Flynn pouvant parler (puisqu’en retraite), c’est le dernier officiel en date à dire publiquement que les États-Unis et les autres États soutenant les rebelles en Syrie l’ont fait en toute conscience, et qu’envoyer des armes à Al-Qaïda était une décision politique ayant pour objectif de mettre la pression sur le régime syrien.
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Hasan — En 2012, les États-Unis aidaient à coordonner les transferts d’armes vers ces mêmes groupes (salafistes, Frères Musulmans, Al-Qaïda en Irak…). Pourquoi n’avez-vous pas cessé de le faire si vous vous inquiétiez de la montée en puissance des extrémistes islamistes ?
Flynn — Je déteste dire que ce n’était pas mon boulot, mais bon… Mon boulot consistait à m’assurer que les informations que nous présentions étaient aussi valides que possible.
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Les premières informations sur ce rapport de la DIA disant qu’il avait un intérêt médiatique par son caractère très révélateur furent critiquées et même tournées en ridicule par quelques experts, et même des journaux comme The Daily Beast. Pourtant, le directeur de la DIA, à l’époque où fut rédigé ce mémo, largement mis en circulation, confirme maintenant sans aucune ambiguïté qu’il est de grande valeur et servit même de base pour discuter, avec la Maison Blanche, de la stratégie à adopter vis-à-vis de la Syrie.
Étant donné que Michael Flynn était auparavant le directeur des renseignements pour le centre de commande des opérations spéciales (JSOC), à l’époque où la principale mission de ce centre était de démanteler Al-Qaïda, sa franche admission que la Maison Blanche, en réalité, armait et favorisait des groupes liés à Al-Qaïda est particulièrement choquante, vue sa position.
Il est assez perturbant pour l’esprit de voir un ancien haut fonctionnaire des renseignements du Pentagone, de niveau aussi élevé, en charge de la traque de Ben Laden, confesser calmement que les États-Unis ont apporté une aide directe aux fantassins d’Ayman al-Zawahiri en Syrie, au moins depuis 2012.
Cette confirmation est aussi significative pour mon propre travail de reportage sur ce rapport car, à l’époque, je fus contacté par quelques individus qui ont essayé de me convaincre que ceux qui connaissaient vraiment le dossier, experts et gens de l’intérieur, savaient que ce document était sans valeur et sans aucune validité pour la communauté du renseignement et la stratégie à adopter vis-à-vis de la Syrie.
Cela avait commencé par un article du Daily Beast intitulé « La conspiration EI qui dévore Internet », dans lequel un ancien fonctionnaire de la NSA, John Schindler, s’exprime en tant qu’expert proche de la source. Schindler conclut à propos de ce rapport de la DIA : « Il n’y a pas grand-chose d’intéressant à en tirer… Absolument rien de spécial là-dedans, pas une phrase ».
À ma grande surprise, juste quelques heures après avoir publié un droit de réponse sur les propos de Schindler dans cet article du Daily Beast, je fus contacté par un fonctionnaire en exercice de la CIA, qui est aussi un ami personnel de l’époque où je vivais à Washington.
Ce fonctionnaire, qui passa la plus grande partie de sa carrière aux relations publiques de la CIA, m’appela personnellement pour me pousser à abandonner mes attaques contre la crédibilité de Schindler. En retour, je lui fis remarquer le côté fortement idéologique et suspicieux du personnage alors qu’il prétend toujours avoir des sources bien placées à l’appui de ses arguments. Ce fonctionnaire de la CIA insista pourtant pour me convaincre de la crédibilité de Schindler en tant qu’expert ayant de bons tuyaux, et m’assura qu’il avait écrit son article « en toute connaissance de cause ».
Cette interview historique par Medhi Hasan du général Flynn devrait mettre un terme à ce débat. Ce document déclassifié de la DIA est maintenant confirmé comme une pièce centrale et importante pour faire la lumière sur les origines de l’EI, et devrait être la base d’un authentique débat national sur la politique américaine vis-à-vis de la Syrie et de l’Irak.
Maintenant qu’il peut être reconnu comme important par les historiens internationaux respectés, tous les foyers américains devraient avoir connaissance de ce document.
Source : Arret sur Info