Affaire du Mistral, l’Inde annule sa commande historique de 126 rafales et se retourne vers Poutine
En avril dernier nous expliquions (lire ici) que l’Inde avait virtuellement annulé sa commande historique de 126 avions de chasse Rafale en récusant le contrat global décidé en 2012 au profit d’un contrat – très hypothétique – à négocier “par tranches” :
Le ministre de la Défense Manohar Parrikar a indiqué que si l’Inde s’orientait vers l’achat d’avions Rafale supplémentaires, ce serait également via des accords de gouvernement à gouvernement.
Nous avions souligné que le changement de majorité en Inde, au profit des nationalistes hindous, avait renforcé la détermination du gouvernement indien à se rapprocher de la Russie et, dans une certaine mesure, de la Chine pour émanciper l’Eurasie du bloc occidental :
Anticipant cette évolution, le premier ministre indien Narendra Modi avait rencontré Vladimir Poutine en décembre 2014, en pleine crise autour de la livraison du Mistral sur fond de conflit ukrainien. Le chef du gouvernement indien, déterminé à intégrer l’Organisation de Coopération de Shanghaï aux côtés de la Chine, de la Russie et de l’Iran afin de libérer l’Eurasie de la tutelle américaine, avait annoncé au président russe vouloir maintenir la Russie comme “premier partenaire en matière de défense” (source).
Nous expliquions également que l’une des priorités stratégiques constantes de l’Inde est le non-alignement et qu’à ce titre elle recherche, pour son matériel militaire, des options qui lui garantissent une indépendance totale vis-à-vis des grandes puissances :
Dans cette perspective nouvelle, commander des rafales français, c’est dépendre en partie de la livraison régulière de pièces détachées produites en France. Mais aussi des modernisations périodiques dont les chasseurs ont besoin, tant en armement qu’en matériel de navigation, etc.
Suite au refus de la France de livrer le Mistral à la Russie, l’Inde a craint de se retrouver face à une pression des USA sur la France pour ralentir de telles livraisons ou de n’en faire que de moindre qualité, en cas d’opposition géopolitique. En somme, le crédit de la France comme fabricant d’armes est largement entamé et le gouvernement indien ne veut prendre aucun risque quant à son indépendance stratégique.
Or la non livraison par le gouvernement français des deux navires de commandement de classe “Mistral” à la Russie a été interprétée comme une menace directe par l’Inde si d’aventure elle équipait son aviation de matériel français.
Outre les questions de transfert de technologie, c’est en pleine crise de la livraison des navires français à Moscou, en novembre dernier, que le Premier ministre indien, Narendra Modi, avait rencontré Vladimir Poutine pour parler d’un partenariat stratégique global avec la Russie, notamment dans les domaines de l’armement et de l’énergie.
Les deux hommes se sont à nouveau rencontrés le 9 juillet à Ufa, en Russie, pour finaliser ces accords, mais aussi pour évoquer l’adhésion formelle de l’Inde à l’Organisation de Coopération de Shanghaï qui fédère progressivement l’Eurasie dans tous les domaines (lire ici).
La capitulation française face aux exigences américaines sur la question de la livraison d’armes de nature stratégique à la Russie a signifié l’alignement définitif de Paris sur Washington.
La Russie s’empare du contrat
La presse d’état française occulte depuis lors deux informations essentielles sur ce dossier.
Premièrement, elle a systématiquement fait l’impasse sur les négociations très avancées de l’Inde avec la Russie pour doter l’aviation indienne de chasseurs russes.
Avant même l’annonce formelle, en avril, de la “renégociation” de la commande des 126 rafales, un contrat global était négocié avec la Russie pour 127 avions de combat de “cinquième génération”, pour un coût global de 30 milliards de dollars. Ce que la presse française s’était sagement gardée de rapporter, mais que nous avions souligné dans nos colonnes :
Le gouvernement indien est donc entré rapidement en négociation avec la Russie afin d’acquérir l’avion de 5ème génération russe qui devrait sortir des usines en 2016. Le contrat viserait à doter l’Inde de 127 chasseurs dont on sait que l’industrie russe produit parmi les meilleurs du monde. La Russie s’est engagée à accélérer la production pour livrer les premiers chasseurs d’ici à 36 mois.
Ensuite, elle proclamait puérilement “l’échec de la politique d’indépendance technologique” de l’Inde, comme ici (source) Julien Bouissou pour le journal Le Monde :
Cette annonce est un échec pour le programme « Make In India », si cher à Narendra Modi. Lors du salon aéronautique de Bangalore, au début de l’année, le premier ministre Indien avait pourtant lui-même affirmé que son pays émergerait comme « un centre mondial dans l’industrie de la défense ». L’Inde retourne finalement à la politique des années 1980, lorsqu’elle avait acheté deux escadrons de Mirage 2000, complétés par quelques autres, un peu plus tard.
Il est assez savoureux d’entendre la presse française moquer le manque d’indépendance de l’Inde en matière d’armement quand, dans le même temps, elle demeure silencieuse sur les raisons mêmes de l’échec français sur ce dossier : la sujétion à Washington.
Il est vrai que la presse française est elle-même assez fermée à la notion d’indépendance, ceci expliquant probablement cela.
Quoiqu’il en soit, ces affirmations péremptoires n’étaient absolument pas recoupées dans la réalité.
C’est le journal indien de langue anglaise The Hindu (source) qui nous apprend que le contrat devrait être finalisé en novembre prochain, lors d’une rencontre entre Vladimir Poutine et Narendra Modi :
Reconnaissant que des divergences existent, les sources indiquent, sans entrer dans les détails, “qu’une solution a été trouvée et que les discussions sont à une étape avancée” et que l’accord pourrait être atteint “à l’automne”. Le contrat final sera très probablement signé en novembre.
Et il stipule que l’accord supposera un développement technologique conjoint entre l’Inde et la Russie :
L’accord sur chasseur a été ralenti en raison de différences sur la répartition de la production entre Sukhoi et Hindustan Aeronautics Ltd. Dans la mesure où le projet doit recevoir des investissements à parts égales des deux parties, l’Inde a insisté sur la répartition égale de la production.
Et hier, l’Inde a officiellement annulé son contrat avec la France comme le relate La Tribune (lire ici) :
Dans un communiqué publié en fin de semaine dernière, le ministère de la Défense indien a annoncé que l’appel d’offre (Request for proposal-RFP) portant sur la vente de 126 avions de combat “a été annulé”.
Le gouvernement français vient donc de perdre une colossale bataille industrielle au profit de la Russie, du fait même de son inconséquence diplomatique sur le dossier ukrainien et ce sur pression des USA. Une Russie censée être “isolée”, rappelons-le.
Pas de quoi inquiéter Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense, ayant activement participé à la catastrophe industrielle qu’a représenté la non-livraison des Mistrals pour les chantiers bretons de Saint-Nazaire.
Ce dernier étant trop occupé à commenter le trafic routier en Bretagne et à récupérer, dans le cadre de sa candidature aux élections régionales de 2015, les cadavres encore chauds de 4 jeunes accidentés dans le Morbihan.
Source : Breiz atao
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