un scandale d’État
Si l’on en croit le dernier rapport du Syndicat de la Presse Indépendante en Ligne (Spiil), paru le 2 juin dernier, le fonctionnement des aides à la presse en France relèverait presque du scandale d’État.
Le coût pour la collectivité s’élève en effet, si l’on additionne les aides directes (137 millions) et les aides indirectes (971 millions), à plus d’1,1 milliard par an. Pourquoi pas, dira-t-on, si l’on considère que la presse est un secteur éminemment stratégique dont une démocratie pourrait difficilement se passer, et si l’on ajoute que cette charge nationale est à peu près équivalente à celle du régime des intermittents du spectacle, autre joyau de notre fière « exception culturelle » ? Le malheur veut que ces aides, en protégeant un secteur dévasté, d’une part l’empêchent de se réformer en profondeur et de prendre la mesure de l’abîme sur lequel il danse depuis vingt ans, et d’autre part soient réparties de manière très injuste parmi les différents types de presse contemporaine. C’est ce que ce rapport met précisément en lumière.
Des vieux schémas mentaux…
Dans le détail, l’État a versé en 2014 136,8 millions € d’aides directes à la presse dont 113,9 millions € d’aides réservées au support papier et 22,9 millions € d’aides indiscriminées entre papier et numérique, par le biais du Fonds stratégique pour le développement de la presse. Ce sont donc 83% des aides qui sont dirigés vers le papier alors que, selon le Spiil, aujourd’hui 45% de la lecture de la presse se fait déjà sur un support numérique. L’injustice est patente, fruit du puissant lobbying des « installés » que sont les antiques supports de presse écrite. Nul n’en souhaite d’ailleurs la disparition par principe, la lecture sur papier ayant des avantages incontestables. Seulement, il apparaît clairement que l’État continue de raisonner avec de vieux schémas mentaux.
96% des aides pour la presse d’information politique et générale !
Pire, l’iniquité se révèle dans la ventilation de ces aides directes : sur les 136,8 millions globaux, 112,2 millions ont été versés, au travers de dispositifs réservés de droit à la presse reconnue d’information politique et générale (IPG) et 24,6 millions € au travers de dispositifs non réservés à cette catégorie (l’Aide à la modernisation des diffuseurs de presse et du Fonds stratégique pour le développement de la presse). La proportion totale des aides directes qui sont attribuées à la presse IPG (aux aides réservées IPG s’ajoute la part des aides non réservées effectivement attribuée à la presse IPG) s’élève ainsi à 96%. Or, selon la Commission paritaire, la presse IPG ne représente que 4% des publications papier et 30% des services de presse en ligne. Et pourtant, c’est elle qui continue d’avaler l’immense majorité des aides…
Les aides directes captées par le support papier
Si l’on s’aventure plus avant encore dans la répartition précise de ces aides, la vérité, qui est celle de la presse française depuis la Libération, saute aux yeux : c’est une nouvelle fois l’ultra-puissant Syndicat général du livre et de la communication écrite (SGLCE-CGT), scandaleux syndicat unique, qui dicte sa loi aux patrons de presse comme aux représentants de l’État. Les plus grosses part du juteux gâteau des aides directes sont en effet les suivantes : aide au portage (37,6 millions), aide à la modernisation de la distribution de la presse quotidienne nationale (32,9 millions), exonérations de charges patronales pour les colporteurs et porteurs de presse (18 millions) et l’aide à la modernisation sociale de la presse quotidienne d’IPG (11,8 millions). Soit très exactement toutes les tâches dans lesquelles sévit ce syndicat dont une longue suite de scandales, intimidations et autres manœuvres illégales n’a pu jusqu’ici écorner le monopole dans la presse papier. Seul le Fonds stratégique pour le développement de la presse, doté de 22,9 millions, et réparti équitablement entre papier et numérique, parvient à échapper à cette razzia.
En résumé, les aides directes de l’État sont captées par le support papier, et parmi celui-ci quasi-exclusivement destinées à la presse dite d’Information Politique et Générale.
Une rente perpétuelle payée par le contribuable
La seule bonne nouvelle pour la presse numérique concerne les aides indirectes : la TVA a été abaissée en janvier 2014 à 2,1% pour s’aligner sur celle de la presse papier.
Mais parmi ces aides indirectes, dont le montant avoisine le milliard d’euros, 36% restent structurellement réservées aux titres distribués au format papier : il s’agit de l’aide au transport postal (152 millions d’euros), ce qui semble logique, mais également des annonces judiciaires et légales (193 millions d’euros), ce qui constitue un autre scandale. Cette manne qui fait vivre des titres papiers depuis des décennies, grand bien leur fasse, n’a jamais pu être étendue à la presse numérique, sans qu’aucune raison valable ait été donnée. Les cadors de la presse papier, encore une fois, ne lâchent rien et préservent leurs rentes perpétuelles, payées par le contribuable. Les autres aides indirectes importantes, qui s’appliquent pour le coup évidemment aux deux types de presse, sont l’exonération de cotisation foncière des entreprises (200 millions par an) et l’abattement sur les cotisations sociales des journalistes (140 millions). A quoi il faut ajouter la niche fiscale jamais dénoncée qu’est l’abattement sur l’impôt sur le revenu des journalistes, évaluée à 60 millions d’euros.
Les médias sous perfusion
Le plus inquiétant demeure le fait que depuis 2008, ces aides directes et indirectes à la presse n’ont cessé de prendre une part de plus en plus importante rapportées au chiffre d’affaires du secteur : quand en 2008, elles en constituaient 11%, en 2013 (derniers chiffres connus), elles atteignaient près de 15%. Non pas d’ailleurs qu’elles aient elles-mêmes augmenté en volume, mais plutôt que le chiffre d’affaires global de la presse n’ait continué de chuter : des 10,5 milliards en 2008, il ne reste que 8,3 en 2013. Dans la presse IPG, le constat est encore plus dramatique : ces aides constituent aujourd’hui 20% du chiffre d’affaires. Nous sommes donc face à un monde sous perfusion, qui continue de donner des leçons à la terre entière, comme s’il était libre et indépendant, alors qu’il est de plus en plus partagé entre les intérêts de grands groupes aux intérêts parfois antagoniques et la férule de l’État-providence.
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