Frédéric Grappe, qu’appelle-t-on le profil du coureur ?
Le profil, c’est la classification des coureurs en de grandes catégories. On les connaît : les grimpeurs, les rouleurs, les sprinteurs et les grimpeurs/rouleurs. La notion de coureur complet ne me paraît pas devoir être employée souvent. Parce qu’il est très rare de savoir sprinter vite en étant grimpeur/rouleur. A moins de s’appeler Eddy Merckx ou Bernard Hinault. Il y a aussi de grands sprinteurs qui savent rouler vite. Enfin, il y a la catégorie qui n’entre dans aucune de ces castes. Ce sont les coureurs dont les capacités sont inférieures à la moyenne et qui pourtant savent tirer leur épingle du jeu en menant des échappées ou en faisant un très bon travail d’équipier.
Comment détermine-t-on la classification d’un coureur ?
La première chose est de déterminer la cylindrée, donc sa capacité en VO2 Max, sa capacité de consommer un grand volume d’oxygène. C’est la donnée qui va permettre de dénicher les futurs champions même si ensuite, dans le processus, entre un nombre important de données. Une grande VO2 Max est la base mais n’est pas suffisante pour faire la carrière d’un champion. Puis on va tester la capacité de l’effort en solitaire, la capacité du coureur à définir une stratégie de l’effort. C’est une notion très importante. Ensuite, on va tester l’explosivité en effectuant des tests de sprints. Entre en jeu la fibre musculaire.
Fibre musculaire qui relève de l’inné ?
On peut dire que pour tout coureur cycliste, 40 à 50% de son potentiel relève du génétique. De l’immuable. Le reste, c’est 50% de travail. Son morphotype, la manière dont il est bâti va déterminer son champ de compétence : la longueur de ses membres, son fessier, des données qu’on ne peut pas bouger. Kenny Elissonde a un morphotype et on ne va pas lui demander de rouler en tête de peloton. Ça ne correspond pas ! Laurent Mangel, c’est l’inverse.
Comment déterminer à partir de la VO2 Max et de la fibre musculaire, le profil du coureur ?
Beaucoup de VO2 Max, c’est beaucoup de fibres lentes. Il y a des coureurs puissants capables de rouler contre la montre et qui vont aller vite au sprint. Marcel Kittel par exemple, Thor Hushovd quand il était plus jeune. Arnaud Démare peut appartenir à cette catégorie. Il a un gabarit, il est puissant et il va vite. C’est ce qui peut faire de lui un coureur de classiques mais c’est lui qui va décider de la suite de sa carrière. Avec le temps, un sprinteur perd toujours de son explosivité. C’est jeune qu’un coureur atteint son plus haut niveau d’explosivité et comme il s’exprime dans l’insouciance, qu’il n’y a pas de charge de travail, il n’y a pas d’usure mentale. Après c’est une question d’évolution mais c’est insidieux. Conscient de cette donnée, le coureur anticipe et ne subit pas le changement, il pilote la machine. Sinon, il est mis devant le fait accompli.
Cela signifie que les données physiques, de celles qui définissent le profil, évoluent ?
Il faut que le coureur soit tout le temps conscient de son potentiel physique et mental. Ensuite, divers éléments vont influencer sa carrière, ses choix de carrière. La performance est liée à de multiples choses mais il y a cinq grands modèles. 1) Le modèle nutritionnel ; 2) le modèle mental de l’ordre du stress ; 3) le modèle d’entraînement ; 4) le modèle social ; 5) la notion de plaisir. Le champion représente la synergie des cinq points.
En rentrant dans les détails, il est clair que nous manquons de rouleurs en France ?
Oui c’est une vraie faille de notre système de formation français. La capacité de rouler, il faut la travailler très rapidement, dans les catégories de jeunes, très rapidement pointer l’importance de la stratégie de l’effort et stocker des expériences. Plus un coureur va le faire jeune, plus il a de chance d’être meilleur chez les pros. En France, on est à côté de la plaque. Dans la catégorie des DN1, les espoirs disputent trois contre la montre par an. Il en faudrait un par mois de plus de 25 kilomètres. Chez les pros, on essaie de compenser en demandant à tous nos coureurs de faire les contre la montre à bloc mais il y a un grand retard à la base.
Et c’est vrai que peu de coureurs, en France, goûtent à cet exercice ?
Et pourtant beaucoup d’entre eux en ont le potentiel. Je n’aime pas quand un coureur botte en touche et ne le fait pas à fond. Peu importe le résultat et la place dans le classement mais cet exercice fait apprendre sur soi, il permet d’apprendre à gérer beaucoup d’éléments à la fois : le matériel, la météo, le vent, l’alimentation et la gestion des soucis personnels. Et c’est un effort gratifiant parce qu’il s’agit d’un investissement personnel de moyen et de long terme. Le profil, il s’agit seulement de l’explorer.
C’est l’exercice type de gestion de l’effort ?
Il y a deux types d’efforts : l’effort passif et l’effort actif. L’effort passif c’est être dans les roues, passer 95% du temps en réponse aux autres. Il faut donc savoir produire de l’action, passer le plus de temps possible à être productif dans l’action. Quand vous travaillez, vous progressez et vous rendez service à votre équipe.
De tous les profils, il semble qu’il y en ait un absolument naturel, c’est le grimpeur ?
On en revient au morphotype. Plus c’est lourd au-dessus des jambes et plus c’est difficile de grimper. Un petit fessier, des fibres lentes donc une bonne VO2 Max = un bon grimpeur. Après, il faut aimer la montagne, la rêver. Un Thibaut Pinot est heureux surtout en montagne et parfois je lui dis qu’il en fait trop. Regardez les grimpeurs, les Thibaut, les Contador, ils sont heureux en danseuse. Leur capacité à balancer le vélo à gauche et à droite sans être énergétiques… Et ça leur permet un transfert d’énergie. D’ailleurs Froome l’a compris. L’an dernier il ne se mettait pas en danseuse. Cette année, il a dû le travailler parce que dans la première étape du Critérium du Dauphiné, il était capable de se mettre en danseuse pendant 30 secondes.
Mais lui entre dans la catégorie des rouleurs/grimpeurs ?
Ce qui signifie qu’il régule… Dépenser 400 watts sur le plat revient à lutter contre la résistance de l’air. 400 watts en montagne revient à lutter contre la gravité et ce n’est pas pareil. Passer de l’un à l’autre est une question de coup de pédale, de braquet. L’inertie est différente, le muscle travaille différemment. Et il faut le travailler jeune. Autant le contre la montre que la montagne.Nous y revenons, avoir le profil est important mais seul le travail permet d’en tirer parti.
Source : equipe cycliste fdj
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