Grèce : Tsipras social-traître ?

Ce n’est pas la faute de Tsipras

Pauvre Tsipras. Hier le héros des gauchistes, il risque, du moins si l’on lit les réactions indignées dans certains blogs, de passer rapidement à la catégorie « archi-traître à fusiller ». Ce n’est pas la faute de Tsipras. C’est la faute de ce gauchisme infantile qui ne comprend toujours pas ce que sont les responsabilités du gouvernement. Tel Mélenchon expliquant qu’il suffit de « désobéir à l’Europe » pour que tout s’arrange magiquement sans qu’on ait besoin de sortir de l’Euro ou de l’UE (1). Si Tsipras gouverne et Mélenchon non, c’est précisément parce que l’un comprend comment fonctionne le monde réel, et pas l’autre.

D’abord, personne n’a été trahi. Tsipras a toujours affirmé qu’il n’avait pas l’intention de sortir de l’UE ni même de l’Euro. Il a toujours dit que son intention était de négocier le meilleur accord possible pour la Grèce dans ce cadre. Lorsqu’il a pensé que l’offre des créanciers pouvait être améliorée, il a fait voter « non » par référendum pour bien marquer que les conditions offertes étaient inacceptables. Aujourd’hui, parce qu’il pense que les créanciers n’amélioreront pas leur offre si ce n’est à la marge et parce que ceux-ci lui ont donné satisfaction sur le point qu’il juge essentiel – la mention explicite d’une restructuration de la dette – il fait voter par le parlement un mandat de négociation dans ce sens. Il n’y a pas de honte pour un homme d’Etat à changer d’avis sous la pression des circonstances, à condition de le reconnaître et d’expliquer au peuple pourquoi. Tsipras l’a fait, en admettant devant le Parlement grec que les mesures acceptées allaient à l’encontre du programme du gouvernement, et en expliquant qu’elles étaient inévitables sauf à admettre une sortie de l’Euro. On peut donc être en désaccord avec Tsipras, mais on ne peut lui reprocher une quelconque traîtrise.

Pour ceux qui s’expriment depuis leur salle à manger à Paris, il est un peu facile de sous-estimer la difficulté des décisions que Tsipras doit prendre. Il semble clair aujourd’hui qu’il a tiré sur la corde tout ce qu’il a pu. Tirer un peu plus, c’est aller à la rupture et donc à la sortie de l’Euro et peut-être même de l’Union européenne, non parce que Mme Merkel serait méchante, mais parce qu’elle-même aurait du mal à « vendre » un compromis plus généreux à ses propres électeurs. Seuls les gauchistes indécrottables croient encore que tout est affaire de volonté, et que si Che Guevara-Tsipras avait mis le révolver sur la table, les allemands, les finlandais ou les hollandais se seraient couché devant lui. Dans le monde réel, tout est question de rapport de forces. Et le rapport de forces n’est pas précisément en faveur des grecs. Tsipras a pu se donner des marges de manœuvre en jouant sur le fait que les leaders européistes n’étaient pas prêts de gaîté de cœur à créer un précédent en faisant sortir un pays du système européen. Mais de là à imaginer qu’ils sont prêts à tout faire pour l’y maintenir, y compris de défier leurs propres électeurs, il y a un pas difficile à franchir.

D’un point de vue politique, je ne suis d’ailleurs pas convaincu qu’une sortie de la Grèce aurait fait l’affaire des souverainistes. Et cela pour deux raisons : la première, c’est qu’une sortie désordonnée, dans un pays en crise, pilotée par des gens qui n’en veulent pas vraiment et sans véritable soutien populaire aurait été une expérience traumatique qui aurait été utilisée comme repoussoir par la propagande bruxelloise. La seconde est que, dans la mesure où aucune nation ne peut durablement consommer sans rapport avec la productivité de son économie, les grecs vont devoir se serrer la ceinture pendant quelque temps, et cela quelque soit le choix monétaire. Est-ce dans l’intérêt des souverainistes que ce serrage de ceinture soit attribué à la sortie de l’Euro par une propagande bruxelloise qui n’attend que cela ? Je n’en suis pas persuadé. Bien entendu, je reste persuadé que la sortie de l’Euro est la condition sine qua non d’un redressement de l’économie grecque. Mais ce redressement ne se verra pas avant quelques années. Est-ce que le gouvernement Tsipras pourrait tenir suffisamment longtemps ? Je n’en suis pas persuadé.

Tsipras aura fait ce qu’il a pu, dans le cadre du mandat qu’il avait sollicité. Et il l’a fait avec un certain panache et beaucoup d’intelligence. Ce faisant, et probablement sans le vouloir, il a mis en lumière les contradictions et les non-dits de la « construction européenne ». Il a montré que le roi européen était nu. Mais on ne peut raisonnablement pas lui demander plus. Le vote au Parlement grec montre qu’il n’avait pas derrière lui le soutien populaire nécessaire pour s’embarquer dans une sortie de l’Euro. C’est malheureux, mais il faut peut-être aux peuples boire le calice de l’austérité jusqu’à la lie pour comprendre qu’une sortie de l’Euro, quelque soit son coût, sera sur le long terme moins chère que le fait d’y rester.

Source : Descartes

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